Il est 16h à Paris 16ème arrondissement. Je regarde la route, hypnotisé par le chapelet en ivoire accroché au rétroviseur du taxi qui me conduit et écoute l’album Space oditty de Bowie. Il neige. Je tapote ces mots sur mon Iphone, je suis en retard et j’ai rendez-vous avec un réalisateur de films documentaires que j’aime beaucoup, Loïc Prigent. L’avenue est bouchée, je repense à la scène que j’ai vécue le mois dernier au défilé Lanvin.
Vendredi 1er octobre, 17h30, Halle Freyssinet. J’assiste aux répétitions du défilé Lanvin et accompagne Alber Elbaz pour faire des portraits de lui (voir billet précédent). Depuis plusieurs minutes un homme âgé marche au milieu du catwalk entre les filles qui répètent. Une canne à la main, il les photographie avec un Leica argentique. Je le regarde, amusé. Il me semble si fragile, il a presque du mal à porter son appareil à l’œil. Ce vieux monsieur commence vraiment à attiser ma curiosité quand je remarque que tous les gens présents semblent le protéger, l’évitent avec précaution et le vénèrent presque. Je vois Alber Elbaz venir à lui avec une déférence que je lui connais peu. Une jeune fille l’accompagne, tenant pour lui un 5D Mark 2 cette fois-ci numérique, je vais à elle et lui demande discrètement qui est ce monsieur si étrange.
– C’est William Klein. Me dit-elle, détachée.
Le temps s’arrête l’espace d’un instant. Mille images et mille pensées se bousculent dans ma tête. Mon cœur bondit, à la fois honteux de cette condescendance aveugle qui m’a fait le juger avant de le connaitre et heureux de savoir que je vais passer un peu de temps à ses cotés.
Nous sommes dans le First Look du défilé Lanvin et j’oublie complètement ce pourquoi je suis là. Je regarde cet homme de 82ans, ce génie polymorphe, qui après avoir tout vu, tout fait, n’ayant plus rien à prouver à quiconque et qui pourtant a les yeux qui resplendissent de fraicheur et d’émerveillement. Mon appareil photo pend à mon bras, je le regarde, il n’y a plus que lui. J’aurais rêvé m’asseoir dans l’atelier de Picasso et le regarder peindre, écouter dans la pièce d’à coté, Glenn Gould jouer les Variations Goldberg. Je suis là, à coté de William Klein, entouré des plus beaux mannequins du monde et du créateur Alber Elbaz. Il me sourit et nous prenons des photos.
Le taxi freine brusquement, je sors de mes pensées, je suis arrivé.
13 Comments
Très beau moment décrit ici ! C’est rigolo de voir que tu as gardé ton âme d’enfant malgré tout ce que tu as déjà vu dans ce bien beau monde 😉
(et mince alors, je ne pensais pas qu’il avait cet âge…)
Mymy – Avoir toujours le gout de l’émerveillement, ce n’est pas la clé du bonheur, mais probablement celle de la création.
Ce n’est pas tant la recherche du toujours plus qui importe, mais celle du toujours autre.
Merci beaucoup !
j apprecie le fait que dans un même lieux, plusieurs générations d appareil photo qui ont s en doute le même but …(pour ne pas dire « objectif »^^) ET je suis tout a fait d accord avec le premier commentaire…
bonne journée
« Je suis là, à coté de William Klein, entouré des plus beaux mannequins du monde et du créateur Alber Elbaz » : what else ?!
le gout de l’émerveillement, c’est même plus que la clé de la création, c’est celle de la vie, ça peut paraître cliché mais une vie ne vaut d’être vécue sans ce gout précisément (entre autres choses bien sûr!)
anne B – Concernant l’appareil, nous avions le même, Canon 5D mark 2, lui avait un objectif 24/70mm et moi un 50mm. Il avait aussi un très beau Leica… 🙂 Merci !
Khaïra – L’émerveillement est un moteur insatiable qu’il faut alimenter chaque jour. J’ai toujours préféré accumuler les instants de vie que les objets.
Une émotion à fleur de peau on la ressent, que tu écris si bien… la confrontation des âges et de tes expériences a quelque chose de la légende, James.
Bien amicalement
The 3rd photo, in B&W, where you can see only one eye of William Klein, the camera and one large, aged hand, among the models coming and going… I love that! A tiny figure, but that single eye is so intense, so alive (more then anything else around)! It’s as if all his energy has been absorbed, centralized to just one sense – the sight!
And there is a sense of goodness in his face, so beautiful, makes me want to cry (go figure)!
No other words are necessary, you’ve said it all – those magical, wonder moments, when everything is just perfect, and you feel you can’t ask for anything more!
The old film effect you’ve been showing is great!
Thanks for sharing these special moments with us!
Have a great week!
By the way, keep us posted on you’re meeting with Loïc Prigent!
Have a great week, and thank you for sharing, once again!
laure K – Je suis très touché par tes mots, merci beaucoup Laure.
Cristin – Yes I really like the 3rd (it’s my favorite), he looks like a child, or a hunter, hidden behind a bush.
I don’t know what to say about him, it’s just an amazing man, beyond words, beyond photographs.
Concerning Loïc ; very soon !
Un bouleversement émotionnel qui aurait de quoi rendre flou tes photos, étrangement W.Klein fait partie pour moi de ces nom atemporels, ces icones de la photographie qui ne vieilliront jamais. J’aime sa manière de garder l’oeil ouvert quand il déclenche, comme s’il ne voulait pas se distancier du sujet.
Il a donc un 24-70 !!
nicolas – J’étais a coté d’une montagne et je n’ai pas voulu en perdre une miette. J’ai complètement oublié le défilé, je suis resté avec lui à le regarder. Merci Nicolas !
A chacun ses empreintes,celles de son homonyme nous laissent deviner, les siennes nous emportent.
Oh, how wonderful! Mr. Klein is one of the best photographers in the history of photography. I just wonder which type of Leica camera he was using…